À Caen aussi – Témoignage

Sacha Pelletier, animateur mécanicien à Bretz’Selle, était en stage d’observation à la Maison du Vélo à Caen. Il nous raconte son expérience :
« Ma semaine à Caen s’inscrit dans la politique du réseau des ateliers vélo (l’heureux Cyclage), qui invite et incite les ateliers à « s’ échanger » leurs salarié.e.s. Aller fouiner dans un autre atelier, c’est copier pour faire mieux, c’est donner ses idées et en prendre d’autres, c’ est rencontrer une autre structure, un autre mode de gouvernance, un autre local…Bref: c’est découvrir qu’on n’est pas seul. Je vous ferai grâce de mon amende de 68€ récoltée sans décroiser les jambes, sur le quai de la gare saint Lazare pour fumage prohibé, mais je suis arrivé sous le soleil en fin d’après-midi, accueilli par Thomas, salarié de la Maison Du Vélo. Thomas était i lui-même venu à Strasbourg  en mars  pour découvrir notre stage des « petites mains dans le cambouis ». Je serai donc hébergé dans une jolie maison pendant une semaine, petite bicoque bordée de son jardin. Charmant!
Ma venue de Strasbourg n’avait pas de but précis, tout au plus essayer de participer à un maximum d’activités développées par l’asso. J’étais quand même venu avec mon matériel pour animer « la permanence des gants blancs », une permanence où les participant.e.s portent des gants blancs et n’ont absolument pas le droit de toucher quoi que ce soit pendant l’apprentissage de la mécanique vélo. Je me suis vite rendu compte d’une chose et je n’en n’ ai pas vu venir une autre : Ma permanence des gants blancs allait revêtir  une importance capitale pendant cette semaine et je suis sorti bouleversé de ces 5 jours d’observation. La problématique de la Maison Du Vélo est en effet la suivante : comment un atelier vélo dont la mission première est d’apprendre à réparer un vélo a pu s’éloigner de son principe de base au profit d’une action de service? Loin de moi l’idée qu’ils et elles se soient transformé.e.s en vélocistes, mais la présence quelques jours plus tôt des formateurs et formatrices en pédagogie en disait long sur leur questionnement.
Se réapproprier l’apprentissage, en avons-nous le temps ? Pouvons-nous le remettre au goût du jour et  que les adhérent.e.s s’ y retrouvent encore ? L’enjeu est de taille. Une taille qu’à Strasbourg, nous ne connaissons pas, ou que très peu. La taille d’une population venue à Caen pour aller ailleurs. À la recherche d’une Europe qu’ils espèrent mieux là-bas. Parce que bon nombre de gens qui passent la porte de cet atelier iront courir après un camion pour passer la Manche. Une autre paire… « J’ai entendu, deci-delà, qu’on pouvait appeler l’atelier une fois de l’autre côté de la Normandie, et dire qu’on avait réussi, qu’on était passé»… Cette population, je l’ai vue durant les temps d’ autonomie (ces créneaux de permanence où il n’ y a pas d’ aide) et pendant les créneaux d’aide à la réparation. Quand on n’est pas habitué, lorsqu’on est bénévole d’une structure comme celle-ci, à la communication non verbale, quand on baragouine deux mots d’anglais et que la personne en face en baragouine deux de français, on comprend aisément que, sans s’en apercevoir tout de suite, on a glissé vers plus de « réparation » que « d’apprentissage à » . Parce que le but, finalement, est toujours resté le même, aider son prochain. Et ça, c’est loin d’être un problème, la Maison Du Vélo s’acquitte de cette tâche mieux que personne.
Ici, à Strasbourg, on connaît le problème des migrant.e.s. Mais autrement. On travaille avec des associations d’aide aux migrant.e.s :  on monte une prestation, ils sont 6 participants (une population bien masculine), ils viennent trois après-midis et ressortent avec un vélo en ayant appris à le réparer. Mais parce que chez nous, on a le temps de leur apprendre. C’est cadré. A Caen, l’urgence est telle…Trouver une comparaison pour comprendre : c’ est comme si ma soeur me demandait de garder ma nièce trois heures pour lui apprendre à dessiner un mouton et que, finalement,  au moment d’aller la chercher au centre aéré, une vingtaine de gamins accourent vers moi en me demandant: « steuplait, dessine-moi un mouton… ». Bref, une urgence que je n’avais jamais côtoyée. La semaine fut rythmée par énormément de choses. Un atelier mobile dans le quartier d’ Hérouville, avec des gamins et des gamines adorables, où j’ai pu prendre le temps de leur apprendre des choses, à côté, l’association « Sauvage sur un plateau », restaurant coopératif qui vous apprend que non, les épluchures de patates et autres fanes de carottes ne se jettent pas mais se mangent. Une journée organisée conjointement par la Maison du Vélo et la Maif, ou les enfants apprenaient les rudiments de la mécanique, la maniabilité à vélo, ou encore participaient à des quizz sur la sécurité routière. Des permanences sans aide, d’autres avec. Une permanence « Gants Blancs », donc. Des bénévoles restaient les doigts croisés derrière le dos, ayant peur de se faire alpaguer par l’arbitre de mauvaise foi (moi), ou ayant tout simplement peur de ne pas réussir à passer le « test ». D’autres se sont lancés dans le grand bain, avec beaucoup de réussite, créant un ballet avec leurs doigts blancs, frôlant à peine les vélos, arrivant donc à transmettre des informations, trucs et astuces pour réparer sa monture. Ils avaient bien mérité leurs trophées autour d’un apéro… A quoi avons-nous eu droit encore ? Un atelier mobile dans la commune voisine d’ Ifs. Les organisateurs et organisatrices extérieures étaient tellement à la masse que cela s’est transformé en atelier dérapage et concert de sonnettes, pour le plus grand bonheur de la marmaille. La connaissance aussi de Jean*, très sympa, présent trois jour en réparation pénale, qui me confiera lors de son dernier jour qu’il a été heureux ici dans cet atelier/ à la Maison du Vélo, qu’il a appris énormément de chose, qu’ il a été entouré de gens plus que formidables. Avec ses mots à lui, ça sonne tellement mieux. Des réunions aussi, où l’on s’organise pour la semaine en cours et celle à venir (j’ai chopé leur compte de résultat 2018, c’est ça aussi l’espionnage industriel). La visite d’un lieu de tous les possibles, la Maison d’ la bécane, ou se côtoient apprentissage de la réparation moto&vélo, concert, cuisine, piano ou ping pong, avec en filigrane, bien sûr, un éducateur qui dira au jeune « tu sers à quelque chose, valorise-le! ».
Mais un voyage à la découverte d’ un atelier ne se fait pas, évidemment, sans ses moments off. Pèle mêle, ça fait:
-un bal musette dans le quartier du Thomas pour la fête des voisins.
-une soirée fromage avec l’ex directeur de la Maison du Vélo, Cyril (jeperpétue le mythe, comprend qui peut)
-un check avec Tété lors de son concert au BBC
-un autre concert loupé d’un groupe au BBC qui était à Bischheim la veille.
-Un apéro géant.
-une piste cyclable transformée en dépose-minute (oooh my goooood)
-des parties de Mariokart jusqu’ à…jusqu’ à…
-…et d’ autres choses qui resteront à Caen.
Caen m’a retourné. Les bénévoles relèvent des manches que je n’ai pas eu à relever aussi haut, les mêmes qui se questionnent pour se recentrer sur l’ auto-réparation, un local grand comme leurs cœurs et une réalité bien loin de la nôtre, en bien des points. Le mot qui me vient à la bouche[SP15] , c’est MERCI. J’en aurai d’autres qui vous parviendront aux oreilles, cette fois. »
 
*le prénom a été modifié